J'ai lu hier soir d'une traite ce petit ouvrage collectif et passionnant qui vient d'être édité : Le livre : que faire ?
L'introduction de l'éditeur, Eric Hazan, titrée Assez de larmes, commence bien. En résumé : un constat juste, lequel observe que si nombre d'institutions se penchent régulièrement au chevet du livre, ce n'est que pour constater qu'il va mal, le déplorer, déclamer belles paroles et prescrire quelques vœux pieux, le tout, on s'en doute, mieux, on le constate, sans effet notoire. C'est le contraire qui serait surprenant !
Soit. Je suis d'accord. Mais la conclusion de cela se réduirait apparemment, si l'on en croit Eric Hazan, à distinguer sempiternellement édition industrielle, d'une part, et, édition artisanale, d'autre part ?

Un peu trop simple à mon avis. Et je m'interroge : pourquoi occulter l'émergence de nouvelles générations de lecteurs, de nouvelles pratiques de lecture,  pourquoi fermer, au moins en apparence, la porte et les fenêtres au souffle du 21e siècle ?
Nonobstant et plein de bonne volonté, j'ai décidé de jouer le jeu et je me suis attaché à lire studieusement ce petit livre qui se présente comme : "une boîte à outils" en y cherchant donc, plus que des réponses : des solutions. Oui. Le livre : que faire ?

De la participation de Francis Combes (éditeur, La librairie Saphira ) j'extrais ceci (mais je vous recommande la lecture de l'ensemble de ses Quelques réflexions orthodoxes sur le droit d'auteur, le domaine public et autres sujets) : « tout complote, écrit-il, à faire sauter les barrières étroites de la propriété. La révolution informationnelle, le développement du numérique et de la micro-informatique, la généralisation de l'Internet rendent de plus en plus aléatoire la limitation du droit de voir, de lire, de reproduire librement. Le piratage [...] parait bien être inscrit dans les gènes de cette mutation technologique des moyens de communication... »
Dans la participation d'André Schiffrin (éditeur à New-York, The New Press ) je retiens que nous pourrions inventer d'autres manières de faire de l'édition, par exemple, via des coopératives de lecteurs (ce qui n'est pas sans rappeler My Major Company, le premier label musical participatif).
De la participation de Jérôme Vidal (éditeur, Amsterdam éditions) je retiens qu'il est urgent que l'école et l'université françaises cessent de fonctionner massivement comme des fabriques de non-lecteurs. Ah ça oui !
De celle de Roland Alberto, libraire à Marseille (L'Odeur du temps), je retiens cet aveu tout personnel : « J'ai du mal à penser que l'on puisse défricher le livre, la librairie, une librairie, via un groupement... »
Frédéric Salbans (directeur commercial d'Harmonia Mundi livres ) me rappelle (si besoin était) que : « Le livre ne constitue pas une oasis protégée, il suit l'évolution d'ensemble de notre société. » Eh oui !
Hélène Korb (bibliothécaire à Gennevilliers) constate quant à elle : « Il me semble que désormais, une grande partie des informations passe par Internet [qu'elle utilise semble-t-il avec pertinence, puisqu'elle ajoute...] les petits éditeurs doivent profiter de ce que les bibliothécaires consultent beaucoup Internet et qu'elles communiquent beaucoup entre elles par emails : elles font circuler l'information... »
Enfin, Joël Faucilhon (Lekti-ecriture) se demande si la chaîne du livre va vers un monde d'informaticiens et de manutentionnaires ? « Internet, dit-il, avant même que son nom soit trouvé, fut pensé comme un outil de mise à disposition du savoir et de la littérature. »

Ses déclarations sur le devenir de la librairie me semblent pertinentes : « [il prône] la mutualisation des outils nécessaires à la création de sites de librairies indépendantes en ligne [...] Les librairies indépendantes en ligne, déclare-t-il intelligemment, ne pourront concurrencer de manière efficace les grands acteurs de l'Internet marchand, que si elles ne se contentent pas de reproduire les modèles dominants, mais si elles inventent leurs propres modèles... » Evident, mais cela va mieux en le disant.
Joël Faucilhon conclut sa participation en plaidant pour des « normes ouvertes, communes, pour les livres électroniques ».
Ma conclusion ? Je ne regrette pas cette lecture. Une saine préparation au Salon du livre de Paris (et si vous ne le lisez pas avant, profitez d'un passage sur le stand F35 de La Fabrique Editions).
Mais il y a une chose que je ne comprends pas cependant : alors que ce livre se pose en chevalier blanc de l'indépendance, il se dégage de chacune de ses pages ou presque la même mélopée, un appel constant au pouvoir, à l'aide publique, aux fonds publics...
Question de générations peut-être ? Persistance du 20e siècle peut-être ?

Je ne pense pas que nous serons entendus, nous devons innover, nous devons nous sauver nous-mêmes.
Le peuple des connecteurs (pour reprendre le titre d'un célèbre ouvrage de Thierry Crouzet) je pense, pourrait créer la surprise, la question étant : qui, dans la galaxie Gutenberg, embarquera pour cette grande aventure ?